Thadhellala
Ce récit véhicule des stéréotypes sexistes. Je vous recommande de le lire avec une distance critique et d’interroger les imaginaires qu’il convoque.
Une femme avait sept filles et point de fils. Elle se rendit à la ville et y remarqua une riche boutique ; plus loin elle aperçut sur la porte d’une maison une jeune personne d’une grande beauté, elle appela ses parents et leur dit :
« J’ai mon fils à marier, permettez-moi de lui présenter votre fille. »
On lui permit de l’emmener. Elle revint à la boutique et dit à celui qui la gardait :
« Je vous donnerai volontiers ma fille, mais auparavant allez consulter votre père. »
Le jeune homme laissa un domestique à sa place et sortit. Thadhellala, — ainsi s’appelait la femme, — envoya le domestique acheter du pain dans une autre partie de la ville. Alors vint à passer une caravane de mulets. Thadhellala les chargea de toutes les fournitures de la boutique et dit au muletier :
« Je prends les devants ; mon fils va venir dans un instant, attends-le, il te paiera. »
Elle partit avec les mulets et les richesses dont elle les avait chargés. Le domestique fut bientôt de retour :
« Où est ta mère, lui cria le muletier, hâte-toi de me payer. »
— « Dites-moi où elle est, vous, je lui ferai rendre ce qu’elle m’a volé. »
Et ils allèrent devant la justice. Thadhellala poursuivit sa route et rencontra sept jeunes étudiants. Elle dit à l’un d’eux :
« Donne-moi cent francs et je t’appartiendrai. »
L’étudiant les lui donna. Elle fit aux autres la même proposition, et chacun la prit sur parole. Arrivés à une bifurcation, le premier lui dit : « Je t'emmène, » le second lui dit : « Je t’emmène, » et ainsi jusqu’au dernier.
Thadhellala leur répondit : « Vous allez lutter à la course jusqu’à cette crête que voilà, celui qui y arrivera le premier m’emmènera. »
Les jeunes gens partirent. Un cavalier vint à passer :
« Prête-moi ton cheval, » lui dit-elle. Le cavalier mit pied à terre.
Thadhellala monta et lui dit :
« Vois-tu cette crête, je t'y rejoindrai. »
Les écoliers aperçurent notre homme :
« N'avez-vous pas vu une femme ? lui demandèrent-ils, elle nous a emporté sept cents francs. »
Celui-ci leur répondit :
« Ne l’avez-vous pas vue, vous autres ? Elle m’a volé mon cheval. »
Ils allèrent se plaindre au sultan. Le sultan donna ordre d’arrêter Thadhellala. Un homme se promit de la saisir, il engagea un compagnon et tous deux poursuivirent Thadhellala qui avait pris la fuite. Serrée de près par notre homme, elle rencontra un nègre qui arrachait les dents et lui dit :
« Vois-tu mon fils qui s’avance là-bas ? Arrache-lui les dents. »
Quand l’autre passa, le nègre lui arracha les dents. Le pauvre édenté saisit le nègre et le mena chez le sultan pour le faire condamner. Le nègre dit au sultan :
« C’est sa mère qui m’a dit de les lui arracher. »
— « Sidi, reprit l’accusateur, je poursuivais Thadhellala. »
Le sultan envoya des soldats à la poursuite de la femme qu’ils saisirent et suspendirent aux portes de la ville. Se voyant arrêtée, elle envoya un messager à ses parents. Alors vint à passer un homme qui menait un mulet. En la voyant, il se dit : « Comment cette femme a-t-elle mérité d’être suspendue ainsi ? »
— « Tu me fais pitié, lui dit Thadhellala, donne-moi ton mulet, je te montrerai un trésor. »
Elle l’envoya à un certain endroit où était enfoui le prétendu trésor. Sur ces entrefaites survint le beau-frère de Thadhellala.
« Emmène ce mulet, » lui dit-elle.
Le chercheur de trésors creusa la terre en maints endroits et ne trouva rien ; il revint chez Thadhellala et lui demanda son mulet. Celle-ci de pleurer et de crier. La sentinelle accourt, Thadhellala porte plainte contre cet homme, elle est détachée à l’instant, et l’accusé est suspendu à sa place. Elle s’enfuit dans une ville lointaine, dont le sultan venait de mourir. Or, d’après les coutumes du pays, on prenait pour roi quiconque se trouvait aux portes de la ville à la mort du roi ; le sort y amena Thadhellala, on la conduisit au palais où elle fut proclamée reine.
Thadhellala (I) dans Recueil de contes populaires de la Kabylie du Djurdjura recueillis et traduits par Joseph Rivière, Paris, Ed. Ernest Leroux, 1882, p. 5-8.
Joseph Rivière, né en 1853 et mort en 1883, est un instituteur, prêtre jésuite, missionnaire et folkloriste français. Membre de la Compagnie de Jésus, il est envoyé en Kabylie puis au Zambèze, un fleuve d’Afrique australe. Rivière s’immerge trois ans dans plusieurs tribus du Djurdjura, en Algérie, où il collecte, transcrit et traduit des récits populaires transmis par des conteur.euses berbérophones. Son recueil, paru en 1882, constitue une source précieuse d’informations sur la culture kabyle, culture de l’oralité. Toutefois, le travail de Rivière s’inscrit dans un contexte colonial. Il convient donc d’appréhender ses textes avec un regard critique en tenant compte de leurs biais culturels.
Joseph Rivière op. cit, préface, p. III-VI.
Site archive.org, consulté le 29 octobre 2025 : https://archive.org/details/recueildecontesp00unse_3/page/n5/mode/2up
Site catalogue.bnf.fr, consulté le 29 octobre 2025 : https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb10634325z
Bonnay, Le père Joseph Rivière, de la Compagnie de Jésus, missionnaire de la Kabylie et du Zambèze, élève de l'école apostolique d'Avignon : vie et souvenirs / par un père de la Compagnie de Jésus, avant-propos, Prades-Freydier, Le Puy, 1885, p. 5-7.
Site gallica.bnf.fr, consulté le 29 octobre 2025 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k104255h/f4.item.texteImage
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