La chèvre et ses petits
Ce récit véhicule des stéréotypes sexistes. Je vous recommande de le lire avec une distance critique et d’interroger les imaginaires qu’il convoque.
Il était une fois une chèvre qui avait mis bas cinq chevreaux, elle en aimait quatre. Son aversion pour le cinquième était totale. Chaque fois qu'elle revenait du pâturage, elle appelait :
- Sindakhe N'Dakhité, viens téter, Thienkête N'Dakhité, viens téter, Seynidienghé, viens téter, Alassane N'Daghème, viens téter, Yalla Séré reste là, car lorsqu'on est empêché par Dieu on se contente de son sort.
A ces mots les quatre cabris vinrent tous téter à leur faim, puis s'en retournant, sautèrent autour du petit malheureux dont ils se moquaient, en lui disant :
- Pauvre petit malheureux, tu mourras de faim. Chaque fois que maman revient du pâturage, ses mamelles sont gonflées de lait que nous suçons â satiété pendant que toi tu te morfonds dans ton piteux état.
A cela, le résigné répondait toujours :
- Dieu est grand, je suis là.
La mère chèvre continua à mener cette vie avec ses autres préférés qui ne cessaient de se moquer de leur misérable frère.
Un jour, la grand-mère hyène l'ayant appris, vint se rendre compte elle-même de ce qui se passait. Elle se cacha derrière un buisson et attendit. Vers le soir, avec une traînée de lait derrière elle, la mère chèvre aux mamelles rebondies, s'avança et chanta:
- Sindakhe N'Dakhité, viens têter, Thienkête N'Dakhité, viens têter, Seynidienghé, viens têter, Alassane N'Daghème, viens têter! Valla Séré, reste là, car lorsqu'on est empêché' par Dieu, on se contente de son sort.
C'est alors que l'hyène vit quatre gros cabris luisants de graisse accourir pour têter. Bien vite, elle s'en retourna et dit à son fils :
- Je viens de faire une trouvaille sans pareille. Seulement, si tu ne fais pas vite tu risques d'être devancé par ceux de Thongor. Ils vont arriver avant toi et alors tu auras perdu à jamais.
- Bon, maman, dès demain, nous irons voir ce que tu as trouvé et que tu qualifies d'exceptionnel.
Le lendemain, la mère hyène et son fils arrivèrent sur les lieux et attendirent le soir pour assister au même spectacle que la veille. L'hyène se dit :
- Je n'en crois pas mes yeux, est-ce là une chance ordinaire ? Dieu seul est capable de m'offrir une aubaine si inattendue. Quelle chance !
Le lendemain, munie d'un gros sac, elle arriva la première, et entonna le chant d'appel de la mère chèvre. Les petits cabris au fur et à mesure de leur arrivée étaient étranglés et envoyés au fond du sac. Après le dernier, l'hyène toute heureuse s'en retourna bien chargée. Peu de temps après, la mère chèvre, 'comme de coutume arriva et entonna son' chant. Elle fut amèrement surprise d'entendre le petit malheureux lui répondre par cet air lugubre.
- Sindakhe N'Dakhité, l'hyène l'a dévoré, Tienkête N'Dakhité, l'hyène l'a dévoré, Seynidienghé, l'hyène l'a dévoré, Alassane N'Daghème, l'hyène l'a dévoré. Seul Yalla Séré est resté là. Celui que Dieu protège se contente de son sort.
A ces mots, mère chèvre comprenant son malheur se mit à sangloter. Elle pleura longtemps avant d'inviter le survivant à venir téter ses lourdes mamelles. Celui-ci répondit :
- Mère, je refuse la tétée, car tu me l'as toujours refusée. Maintenant que tu as perdu tes enfants chéris, tu te retournes vers moi. C'est à mon tour de te dire non.
La mère chèvre fut fort embarrassée et pendant trois jours elle traîna ses mamelles gorgées de lait dont elle ne savait que faire.
A la fin du quatrième jour, le cabri eut pitié de sa mère et alla lui téter son lait.
La haine n'a jamais rien payé et il vaut mieux aimer son prochain plutôt que de le haïr.
La chèvre et ses petits (60), histoire racontée par Amsata Dieye et Deme Niang, dans Contes wolof du Baol (1968), recueillis et adaptés par Jean Copans et Philippe Couty, d'après une traduction de Ben Khatab Dia, Paris, Union générale d'éditions, 1976, p. 151-153.
Site horizon.documentation.ird.fr, consulté le 29 octobre 2025 :
https://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers18-01/08989.pdf
Jean Copans est anthropologue et sociologue africaniste, associé à l’IMAF (Institut des mondes africains) et Philippe Couty est chercheur à l'ORSTOM (Office de la recherche scientifique et technique outre-mer). Ils ont adapté les Contes wolof du Baol qu’ils ont recueillis en 1967 à Yassy (Missirah), au Sénégal, en s’appuyant sur la traduction de M~ Ben Khatab Dia du C.L.A.D. (Centre de linguistiqué appliquée de Dakar).
Sur les Contes wolof du Baol :
Jean Copans et Philippe Couty, op.cit., avertissement par Philippe Couty, p. 7.
Notice détaillée, sudoc, site www.sudoc.abes.fr, consulté le 29 octobre 2025 :
https://www.sudoc.abes.fr/cbs/DB=2.1//SRCH?IKT=12&TRM=00127466X
Sur Philippe Couty :
Notice biographique, Ed. Chandeigne, site editionschandeigne.fr, consulté le 29 octobre 2025 :
https://editionschandeigne.fr/traducteur/philippe-couty/
Sur Jean Copans :
Notice biographique, IMAF (Institut des mondes africains), site imaf.cnrs.fr, consulté le 29 octobre 2025 :
https://imaf.cnrs.fr/spip.php?article743
"Publication | Jean Copans, L’anthropologue sans cochons", Canthel - Centre d'Anthropologie Culturelle, site canthel.shs.parisdescartes.fr, consulté le 29 octobre 2025 :
http://canthel.shs.parisdescartes.fr/publication-jean-copans-lanthropologie-sans-cochons/
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Vous trouverez l’intégralité des Contes wolof du Baol sur horizon.documentation.ird.fr (L’amateur d’œufs ; Le laveur de cadavre ; Comment guérir la peur ; Samba de la vallée, Samba de la montagne et Sadinghale ; Un menteur renommé ; La vengeance du lièvre, etc.).
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