Histoire du mendiant

                                                                                         Le mendiant futé (XI)

Il était une fois un mendiant qui rencontra un jour des enfants en train de se bagarrer pour un simple chapeau. Intrigué, il s’arrêta pour demander pourquoi cet objet était si convoité. Il apprit alors que ce chapeau avait des vertus magiques. Quiconque le mettait sur sa tête devenait aussitôt invisible. Alors, son propre intérêt pour cet objet exceptionnel s’éveilla et il décida de ruser pour s’en emparer. « Mes chers enfants, dit-il, en tant que personne neutre, je peux vous aider à trouver une solution à votre querelle. Vous allez tous faire une grande course à pied. Ce chapeau appartiendra au plus rapide d’entre vous. » Cette suggestion plut aux enfants et le mendiant leur donna le signal du départ. Mais avant que les enfants ne reviennent vers lui, il coiffa le chapeau et devint aussitôt invisible. Il quitta rapidement la région, emportant avec lui ce butin fort intéressant.

Quelques jours plus tard, il parvint dans une région où se trouvaient beaucoup de nomades. Deux d’entre eux se disputaient un simple sac. De nouveau intrigué, le mendiant s’arrêta et demanda pourquoi cet objet était si convoité. Les nomades lui expliquèrent que cet objet avait des vertus magiques. Celui qui le possédait pouvait en faire sortir tout ce dont il avait envie : de la nourriture en abondance, à boire, des vêtements et toutes autres choses que le cœur désirait. Très futé, le mendiant dit: «Écoutez-moi ! Au lieu de vous disputer de la sorte, je vous suggère de faire une course à pied entre vous deux. En tant que personne neutre, je ferai volontiers le juge. Ce sac appartiendra à celui qui reviendra le plus rapidement vers moi. » Son conseil plut aux nomades et le mendiant donna le signal pour débuter la course. Mais avant que les deux naïfs ne se rendent compte du piège, le mendiant mit le chapeau magique sur sa tête. Aussitôt devenu invisible, il quitta rapidement la région, emportant avec lui le sac magique comme butin.

Quelque temps plus tard, le mendiant vit deux paysans, dans un champ, se disputer un simple bâton. De nouveau, bien intrigué, il s’arrêta pour en savoir plus. Les deux hommes lui expliquèrent que cet objet avait des vertus magiques. Quiconque le possédait pouvait se faire porter en un rien de temps à n’importe quel endroit et de plus, il pouvait vaincre ses ennemis, aussi nombreux soient-ils. Bien évidemment, le mendiant était très désireux de posséder cet objet unique et il leur dit: «Écoutez-moi! En tant que personne neutre, je ferai le juge pour une course à pied. Ce bâton magique appartiendra à celui d’entre vous qui arrivera vers moi le premier. » Son idée plut aux paysans et le mendiant leur donna le signal pour débuter la course. Mais avant que les deux paysans ne se rendent compte du piège, le faux juge mit le chapeau sur sa tête. Aussitôt devenu invisible, il quitta rapidement la région en emportant le bâton magique comme butin. Ainsi, en fort peu de temps, il avait facilement obtenu trois objets précieux qui allaient lui rendre la vie plus agréable et il en était bien heureux.

Emballé par cette histoire, le prince Detcheu Sangpo, malgré toute sa vigilance, relâcha son attention et s’écria, hors de lui : « C’est incroyable comme les gens se laissent facilement berner ! »

Immédiatement, le sac, sur le dos du prince, s’ouvrit tout seul pour laisser sortir son prisonnier, Ngodrup Dorjé. Avec un grand plaisir, ce dernier lança : « Voilà une gifle pour ta réponse à mes paroles ! » et il disparut en un coup de vent.

Trop tard, le prince réalisa son erreur. Se retrouvant une nouvelle fois seul en ces lieux déserts, il éprouva un immense sentiment de regret et d’échec. Mais ni sa colère, ni ses larmes ne purent changer quelque chose à la situation. Après un long moment, le prince Detcheu Sangpo se ressaisit, prit son courage à deux mains et décida de poursuivre la mission que le lama Geumpo Lodrup lui avait assignée. Avec la ferme intention de conserver toute sa vigilance la prochaine fois, il retourna capturer « celui qui réalise tous les rêves ».

                                                                            La nouvelle chasse au cadavre (XII)

C’est ainsi qu’une fois de plus, le prince Detcheu Sangpo traversa tout le royaume pour arriver enfin en Inde, sur le lieu où se trouvaient des morts. À peine arrivé, il fut rapidement entouré par de nombreux êtres morts qui se bousculaient et parlaient tous en même temps : « Halala » et « Houloulou », « C’est moi que tu cherches, emmène-moi ! », « Emmène-moi ! » Comme il l’avait déjà fait à plusieurs reprises, il touchait les têtes avec la statuette conique rouge du lama, répétant sans cesse : «Tu n’es pas le bon », « Tu n’es pas le bon», ce qui les faisait fuir immédiatement.

En regardant autour de lui, il vit un être mort d’un aspect très particulier : son haut était en or, son bas en argent et sa crinière était de pure turquoise. Celui-ci s’enfuit au sommet d’un arbre de santal en disant : « Je ne suis pas le bon ! », « Je ne suis pas le bon ! » Le prince, utilisant ses ruses habituelles, s’empara du cadavre, Ngodrup Dorjé – car c’était lui, bien entendu–, et tout content, il reprit le chemin du retour, impatient de déposer son précieux fardeau devant le lama.

Le quinzième jour, tandis que le prince traversait la grande plaine désertique qu’il commençait à bien connaître, Ngodrup Dorjé commença à lui parler de sa voix toute doucereuse : « Dans cette région hostile, tu le sais, il n’y a personne et tu ne trouveras nulle part où te reposer, pas même une place de la taille d’une crotte de hamster. Pour nous rendre le long chemin plus agréable, je te propose deux solutions. Soit toi, être vivant, tu me racontes une histoire, soit moi, être mort, je t’en raconte une. » Sans attendre la réponse du prince, le cadavre lui raconta la suite des aventures du mendiant et de ses objets magiques.

                                                                                 Le mendiant et ses amis (XIII)

Eh bien, le mendiant continua son chemin à travers les hauts plateaux du Tibet. Un jour, il rencontra un pauvre orphelin qui voulait absolument se joindre à lui. Le mendiant lui dit : «Écoute, ma vie n’est pas simple du tout ! Je n’ai pas d’argent ni de toit. Je mange si l’on veut bien me donner quelque chose à me mettre sous la dent et reste sur ma faim si l’on ne me donne rien. Je dors tout le temps dehors même s’il fait très froid. » Malgré ces arguments, l’orphelin ne changea pas d’avis et c’est ainsi que le mendiant l’accepta comme compagnon de route.

Quelque temps après, les deux amis rencontrèrent un beau jeune homme, fils d’une famille riche, qui avait fait une fugue. Quand il fit la connaissance du mendiant et de l’orphelin et apprit quelle vie libre et sans contraintes ils menaient, il leur demanda de pouvoir se joindre à eux car il avait envie d’être en bonne compagnie. Encore une fois, le mendiant donna toute sorte d’arguments pour le dissuader, comme il l’avait fait auparavant avec l’orphelin. Mais rien à faire ! Le fils de riches avait absolument envie de se joindre à eux. Ainsi, le mendiant l’accepta et ensemble, ils poursuivirent leur chemin.

Dans un autre lieu, le mendiant et ses deux amis rencontrèrent un fils de roi qui n’était pas du tout intéressé par la richesse et le pouvoir mais avait envie de liberté et d’aventure. «S’il vous plaît, prenez-moi avec vous», insista-t-il. Encore une fois, comme auparavant, le mendiant avança tous les arguments qu’il trouva pour le décourager de venir avec eux. Mais le jeune noble était déterminé et finalement, le mendiant l’accepta et le prit avec eux. Ainsi, ils continuèrent leur chemin à quatre, tout heureux d’être ensemble, et devinrent de bons amis.

Un beau jour, ils parvinrent à un village et la nouvelle de l’arrivée de ces quatre amis si fidèles se répandit rapidement. On leur donna généreusement à manger de la tsampa. La plus belle fille du village tomba éperdument amoureuse du prince. Le mendiant informa alors la famille de la jeune fille que son ami était de famille noble et avait un très bon caractère. La famille décida de prendre ce jeune prince comme mari pour leur fille, et les amis furent invités à rester pendant un mois dans cette famille, le temps de préparer le mariage qui dura sept jours entiers. Ce fut une très belle fête, célébrée avec tout le village. La famille avait l’air très bonne et la fille était belle. Rassurés, les amis finirent par donner leur congé et continuèrent leur chemin. Les « au revoir » furent très difficiles mais tout le monde était heureux et content du bon karma du prince.

Les trois amis restants arrivèrent dans un autre village où de nouveau, très rapidement, ils firent parler d’eux-mêmes en bien, de par leur grande amitié et fidélité. La plus belle fille du village vit le fils de famille riche et tomba éperdument amoureuse de lui. Elle en parla à sa mère qui se renseigna aussitôt sur lui auprès du mendiant. La mère consentit à accueillir le jeune homme comme gendre et une grande fête de mariage fut célébrée avec tout le village. Rassurés de savoir leur ami dans une bonne famille, le mendiant et l’orphelin décidèrent de reprendre leur chemin. Les « au revoir » furent difficiles mais tout le monde était heureux et content du bon karma du jeune homme.

Les deux derniers amis parvinrent à un autre village où de nouveau, très rapidement, ils firent parler d’eux-mêmes en bien, de par leur grande amitié et fidélité. La plus belle fille du village vit l’orphelin et son excellent caractère et tomba éperdument amoureuse de lui. Elle en parla à sa mère qui aussitôt se renseigna sur lui auprès du mendiant. La mère consentit aisément à accueillir l’orphelin comme gendre et une grande fête de mariage fut célébrée avec le mendiant et tout le village. Rassuré de savoir son dernier ami dans une si bonne famille, le mendiant décida de reprendre son chemin. Les « au revoir » furent difficiles mais tout le monde était heureux et content du bon karma de l’orphelin. Seul le mendiant ressentit un peu de solitude au fond de son cœur.

« C’est vrai qu’il n’est pas toujours facile d’assumer la solitude ! », laissa imprudemment échapper le prince Detcheu Sangpo, plein d’empathie pour le mendiant. Il se mordit la langue mais trop tard… le sac sur le dos du prince s’ouvrait déjà pour laisser échapper son prisonnier, le cadavre Ngodrup Dorjé. Avec un grand plaisir, ce dernier fit: « Voilà une gifle pour ta réponse à mes paroles ! » et il disparut en un coup de vent.

Une fois de plus, le prince se retrouva seul en ce lieu hostile, avec un immense sentiment de regret et d’échec. Mais ni sa colère, ni ses larmes ne purent changer quelque chose à la situation. Il finit par se ressaisir, prit son courage à deux mains et décida de reprendre au début la mission que le lama Geumpo Lodrup lui avait assignée. Avec la ferme intention de conserver toute sa vigilance la prochaine fois, il repartit capturer « celui qui réalise tous les rêves ».

                                                                           La nouvelle chasse au cadavre (XIV)

Or donc, le prince Detcheu Sangpo traversa de nouveau tout le royaume pour enfin parvenir en Inde sur le lieu où se trouvaient des morts. À peine arrivé, il fut rapidement entouré par de nombreux êtres morts qui se bousculaient et parlaient tous en même temps : « Halala » et « Houloulou », « C’est moi que tu cherches, emmène-moi ! », « Emmène-moi ! ». Sans se lasser, et suivant les conseils du lama, il touchait les têtes avec l’objet conique rouge, répétant sans cesse : « Tu n’es pas le bon, tu n’es pas le bon», ce qui les faisait fuir immédiatement. Au bout d’un moment, regardant autour de lui, il repéra le corps très différent de Ngodrup Dorjé : le haut était en or, le bas en argent et sa crinière était de pure turquoise. Étrangement, ce cadavre s’enfuit au sommet d’un arbre de santal en disant : « Je ne suis pas le bon ! », « Je ne suis pas le bon ! »

Mais le prince, tout comme les fois précédentes, toucha légèrement le tronc de l’arbre avec la hache magique. Le cadavre descendit de son propre gré, le prince l’enferma dans le sac et referma soigneusement ce dernier avec la corde magique avant de quitter rapidement les lieux. Il avait hâte de déposer son fardeau devant le lama et, plusieurs jours durant, il marcha dans le plus grand silence, le sac bien lourd sur le dos.

Mais voici que le dix-huitième jour, tandis que le prince traversait la grande plaine désertique désormais si familière, Ngodrup Dorjé, commença à lui parler d’une voix toute doucereuse : « Dans cette région hostile, il n’y a personne et tu ne trouveras nulle part où te reposer, pas même une place de la taille d’une crotte de hamster. Pour nous rendre le long chemin plus agréable, je te propose deux solutions. Soit toi, être vivant, tu me racontes une histoire, soit moi, être mort, je t’en raconte une. » Le prince se garda bien de répondre et le prisonnier entreprit sans tarder de lui raconter les aventures qui arrivèrent au mendiant.

                                                                                   Le mendiant se marie (XV)

De nouveau seul, le mendiant se déplaça de village en village et continua à mener une vie d’une liberté totale. Malgré ses nouveaux pouvoirs, obtenus grâce aux objets pris aux gens bien naïfs qu’il avait rencontrés sur son chemin, il menait une vie simple et modeste.

Un après-midi, il passa par une belle vallée verte où coulait une petite rivière. Le long de cette rivière se trouvaient de très jolies fleurs rouges et jaunes. Comme il faisait de plus en plus chaud, il s’arrêta un moment en ce lieu agréable et but directement l’eau de la rivière si claire et rafraîchissante. Un peu fatigué, il s’allongea sur le sol et ferma les yeux pour prendre quelque repos. Tout à coup, il entendit les battements d’ailes de deux corneilles qui se posèrent près de la rivière où il y a toujours plein d’insectes pour elles. Picorant par-ci par-là, les oiseaux commencèrent à se raconter leurs petits secrets. L’un d’entre eux dit à l’autre: « Les êtres humains ne le savent pas, mais si l’on touche quelqu’un avec cette fleur rouge, il sera aussitôt transformé en singe. » L’autre, à son tour, dévoila son secret : « Personne ne sait que pour retransformer le singe en être humain, il suffit de le toucher avec cette fleur jaune. » « Eh oui, rétorqua le premier, ces choses resteront secrètes pour toujours ! » Rassasiées, les corneilles s’envolèrent.

Le mendiant avait entendu et compris chaque mot et, tout excité et heureux de ce qu’il venait d’apprendre, il cueillit et emmena avec lui une fleur rouge et une fleur jaune. Ainsi, il continua son chemin à travers les hauts plateaux du Tibet et arriva dans un village où la fille unique d’une riche famille tomba éperdument amoureuse de ce jeune mendiant menant une vie libre et aventurière. Malgré leur grand chagrin de laisser partir la prunelle de leurs yeux, les parents ne pouvaient rien lui refuser. Après une grande fête de mariage avec l’ensemble du village, qui dura sept jours et sept nuits, le mendiant promit à sa jeune épouse de l’emmener très loin de là, sur une magnifique île déserte baignée par la mer.

Un soir, il la fit monter avec lui sur le bâton magique et en quelques instants, ils arrivèrent à l’endroit promis. La jeune femme était bien intriguée et curieuse, et elle posa beaucoup de questions à son mari, qui se garda bien de dévoiler son secret. En ce lieu, ils menèrent une belle vie car rien ne leur manquait : ils avaient toujours assez à manger et à boire, tout ce dont ils avaient envie et, pour chasser la monotonie, le mendiant ramenait régulièrement de beaux habits à sa belle.

Un jour, l’épouse recommença à poser des questions : « Mon cher mari, quel secret me caches-tu ? D’où vient toute notre richesse et quels sont les vertus du bâton magique ? » Sur ses gardes, son époux ne lui dit rien sur le moment mais, face à l’entêtement de son épouse, il lui promit de partager son secret au bon moment. Et voici que l’épouse tomba enceinte et donna naissance à une ravissante petite fille. Extrêmement heureux et fier de son beau bébé, l’ancien mendiant perdit toute prudence et son épouse en profita pour lui extorquer ses secrets sur les pouvoirs du bâton et du sac. Une petite voix intérieure dit toutefois au jeune homme de ne rien dire sur le chapeau rendant invisible ni sur les deux fleurs magiques.

Un triste jour, alors qu’il était sorti, son épouse vola le sac, se mit sur le bâton avec leur petite fille et rentra chez elle en laissant son mari tout seul sur leur île déserte. De retour chez lui, l’ancien mendiant trouva la maison vide et il comprit que son épouse s’était enfuie avec leur fille, emportant avec elle le bâton et le sac. Tous ses regrets d’avoir dévoilé son secret à son épouse et sa grande colère contre elle et contre lui-même ne servaient à rien. Il resta seul, Le mendiant se marie très seul sur cette île déserte au milieu de la mer. Il était profondément malheureux d’avoir été si honteusement trompé par sa bien-aimée.

Réfléchissant au moyen de quitter cette île, aucune idée, aucune solution ne se présenta à lui. Accablé, il perdit tout espoir et voulut s’ôter la vie. Il marcha vers un point élevé, au sommet des falaises, d’où il voulait se jeter dans la mer. Tout à coup, il entendit les cris angoissés de petits oisillons, juste en dessous de lui. Ces cris provenaient d’un nid construit dans la façade rocheuse. Au même instant, il vit qu’un grand serpent attaquait ces petits pour les manger. Oubliant son désespoir, l’ancien mendiant ne pensa à rien d’autre qu’à la meilleure manière d’aider ces petits êtres sans défense. Il ramassa une grande pierre et la jeta avec force et précision sur le serpent qui fut touché et emporté par le poids de la pierre, en chute libre, vers l’eau profonde.

Soulagé et heureux d’avoir réussi à protéger les petits oiseaux, le jeune homme entendit alors un étrange bruit dans le ciel et se vit farouchement attaquer par les griffes d’un énorme oiseau. Quel choc ! Son cœur s’arrêta presque de battre. Cette créature devait être la mère qui, par erreur, pensait qu’il mettait en danger ses petits. «Maman, maman, laisse cet homme tranquille ! C’est notre sauveur. Il a tué le méchant serpent qui voulait nous manger ! », crièrent les petits à l’unisson. La maman oiseau se calma rapidement et se posa vers ses oisillons pour mieux entendre l’histoire de l’attaque par le serpent. Enfin, elle comprit ce qui s’était passé et revint vers le jeune homme, qui était encore sous le choc. La maman oiseau s’excusa de l’erreur qu’elle avait commise et le remercia mille fois. Pour lui prouver sa profonde reconnaissance, elle lui promit d’exaucer son vœu le plus cher. L’homme, victime de son épouse infidèle, ne réfléchit pas longtemps et demanda aussitôt à être conduit dans la région où se trouvaient ses beaux-parents et où il pensait trouver à coup sûr son épouse et sa fille.

À peine son souhait exprimé, l’oiseau mit le sauveur de ses petits sur son dos, s’éleva majestueusement dans les airs, traversa la mer et arriva en un rien de temps à destination. Avant de le quitter, le grand oiseau lui donna quelques-unes de ses belles plumes avec les paroles suivantes : « Cher ami, si un jour tu te trouves en grand danger, il te suffira de brûler une de ces plumes et je volerai immédiatement à ton secours. » Très touché, il accepta le cadeau et c’est ainsi qu’ils se séparèrent cordialement.

Le jeune homme plaça le chapeau magique sur sa tête et, devenu invisible, il entra dans la maison de ses beaux-parents où il vit son épouse infidèle. Sans attendre, il la toucha avec la fleur rouge et la Le mendiant se marie transforma impitoyablement en singe avant de repartir, toujours invisible. Terrifiée par ce qui lui arrivait, la jeune femme, devenue singe, cria horriblement, sauta dans toute la maison, cassa tout ce qu’elle croisa sur son chemin et blessa même les membres de sa famille. Elle fut vite enfermée dans une cage pour éviter de plus grands dégâts.

« Oh, quelle terrible vengeance ! », s’écria le prince, si pris par cette incroyable histoire qu’une fois de plus, il en avait complètement oublié toute prudence.

Hélas, immédiatement, le sac sur son dos s’ouvrit tout seul pour laisser échapper son prisonnier, Ngodrup Dorjé. Avec un grand plaisir, ce dernier fit : «Voilà une gifle pour ta réponse à mes paroles ! » et il disparut en un coup de vent.

Le prince resta seul en ce lieu désolé avec un immense sentiment de regret et d’échec. « Nga kougpa ! Quel imbécile je suis ! », s’écria-t-il plein de colère envers lui-même. Mais ni sa colère, ni ses larmes ne changèrent quelque chose à la situation. Il se ressaisit après un long moment, prit son courage à deux mains et décida de reprendre au début la mission que le lama Geumpo Lodrup lui avait assignée. Avec la ferme intention de ne plus jamais baisser sa vigilance, il retourna à Silwaytsel pour capturer « celui qui réalise tous les rêves ».

                                                                           La nouvelle chasse au cadavre (XVI)

C’est ainsi que le prince Detcheu Sangpo traversa tout le royaume et parvint enfin en Inde, sur le lieu où se trouvaient des morts. Grâce à l’objet conique rouge du lama, il écarta les nombreux êtres morts qui tentaient de lui parler, jusqu’au moment où il aperçut un corps très différent des autres : le haut était en or, le bas en argent et sa crinière de pure turquoise. Celui-ci s’enfuit au sommet d’un arbre de santal mais le prince, grâce à la force de persuasion de la hache magique, réussit facilement à s’emparer du cadavre, Ngodrup Dorjé – puisque c’était lui. Le prince était cette fois bien décidé à tenir sa langue tout au long du trajet de retour, quoi que puisse lui conter l’esprit malin.

Le vingt et unième jour, tandis que le prince traversait en silence la grande plaine désertique, son fardeau sur le dos, Ngodrup Dorjé commença à lui parler d’une voix toute doucereuse : « Dans cette région hostile, il n’y a personne et tu ne trouveras nulle part où te reposer, pas même une place de la taille d’une crotte de hamster. Pour nous rendre ce long chemin plus agréable, je te propose deux solutions. Soit toi, être vivant, tu me racontes une histoire, soit moi, être mort, je t’en raconte une. » Le prince, en alerte, ne souffla mot et le cadavre entreprit de lui raconter la suite des aventures du mendiant.

                                                                             Rétablissement de la justice (XVII)

Eh bien, la belle-famille et tout le village étaient terrifiés de ce qu’était devenue la belle jeune femme, et personne ne savait comment calmer ce singe ni comment faire pour qu’il se retransforme. Le jeune homme laissa passer trois longs mois pour punir son épouse. Enfin, il se déguisa en un grand maître spirituel, brûla une des plumes de l’oiseau géant pour le faire revenir et se fit transporter au-dessus du village de ses beaux-parents. Tout le monde dans la région crut à un miracle et pensa en le voyant que le bouddha lui-même était descendu du ciel. Les gens se prosternèrent devant ce phénomène et récitèrent beaucoup de mantras.

Le faux maître se fit déposer sur le toit de la maison des beaux-parents et fut accueilli avec une extrême dévotion par cette famille qui ne le reconnut pas du tout. Honorés par cette haute visite et pleins d’espoir de recevoir une aide précieuse pour leur fille, les hôtes montrèrent à ce grand maître le singe enfermé dans la cage et lui racontèrent ce qui s’était passé. Le faux maître joua son rôle jusqu’au bout et dit, après un long silence : « Hum ! Je vois que votre fille a un mari extrêmement précieux à qui elle a causé un grand tort ! Elle lui a volé des choses particulières. Si vous ne faites pas en sorte que ces choses lui soient rendues rapidement, vous serez également tous transformés en singes ! »

Ces paroles firent un grand effet sur la famille terrifiée. Les beaux-parents réfléchirent intensément à ce que leur fille avait avec elle lors qu’elle était rentrée chez eux : « Nous n’avons rien vu d’autre dans ses mains qu’un bâton et un sac. » Heureux d’apprendre cette nouvelle, l’ancien mendiant déguisé en grand maître demanda qu’on lui amène ces objets et dit : « En effet, j’ai bien l’impression qu’il s’agit de ces deux choses. À présent, ne vous faites pas de souci ! Je peux vous aider. Laissez-moi le singe que je veux prendre avec moi pour le transformer de nouveau en être humain ! » Toute heureuse, la famille accepta et le laissa emporter le singe. Parvenu à une certaine distance du village, le faux maître toucha le singe avec la fleur jaune et celui-ci redevint la jeune fille qu’il avait épousée.

Extrêmement heureuse, celle-ci se jeta à terre devant le grand maître, pleura de joie et le remercia de tout son cœur. Pendant ce temps, l’ancien mendiant ôta son déguisement et lui révéla sa véritable identité. Lorsque la jeune femme se redressa enfin, quelles ne furent pas sa surprise et sa honte de se retrouver ainsi devant son mari qu’elle avait si froidement abusé. Avec beaucoup de regrets, elle lui demanda mille fois pardon. Il s’inquiéta alors de savoir où se trouvait leur fille. Tremblante, son épouse lui raconta que lors du voyage sur le bâton, la petite avait glissé des mains de sa mère. Elle était tombée dans le vide et avait péri sur le coup. Infiniment triste de cette perte irréparable et très en colère contre son épouse, responsable de la mort de leur fille, il la fit battre par le bâton magique. Malgré cela, son épouse lui dit : « Mon très cher, je regrette tant ce qui s’est passé et j’implore ton pardon. Je t’en supplie, reprends-moi avec toi car je ne veux plus rester chez mes parents, pour y vivre dans l’ennui et la souffrance. »

Le jeune homme lui répondit : « Je t’ai prise avec moi à ta demande parce que tu voulais vivre l’aventure et la liberté. Tu m’as volé, trompé et quitté de ton propre gré pour retourner chez tes parents. J’en déduis donc que tu préfères la souffrance au bonheur. Ne compte plus sur moi, je ne veux plus de toi ! »

À ce moment, le cadavre fit une longue pause bien calculée et, emballé par cette histoire, le prince relâcha un instant son attention et lança : « Quelle Rétablissement de la justice femme stupide ! Elle ne sait pas ce qu’elle…» Il s’interrompit tout net mais trop tard.

Une nouvelle fois, le sac laissa échapper son prisonnier, Ngodrup Dorjé. Avec un grand plaisir, ce dernier fit : « Voilà une gifle pour ta réponse à mes paroles ! » et il disparut en un coup de vent.

Detcheu Sangpo resta tout seul en ce lieu désertique, avec un immense sentiment de regret et d’échec. Mais ni sa colère, ni ses larmes ne purent changer quelque chose à la situation. Il finit par se ressaisir, reprit courage et décida patiemment de poursuivre la mission que le lama Geumpo Lodrup lui avait assignée. Avec la plus grande intention de mobiliser toute sa vigilance, il retourna capturer « celui qui réalise tous les rêves ».

                                                                          La nouvelle chasse au cadavre (XVIII)

Donc, le prince Detcheu Sangpo, déterminé, retraversa tout le royaume jusqu’en Inde, au lieu-dit Silwaytsel où se trouvaient des morts. Écartant les nombreux êtres morts qui se bousculaient autour de lui en les touchant sur la tête avec l’objet conique rouge, il finit par apercevoir le sujet de sa chasse, Ngodrup Dorjé : le haut de son corps était en or, le bas en argent et sa crinière de pure turquoise. Aussitôt qu’il le vit, le cadavre s’enfuit au sommet d’un arbre de santal en disant : « Je ne suis pas le bon ! », « Je ne suis pas le bon ! »

Mais une fois encore, très sûr de lui, il finit par descendre de l’arbre et se retrouva dans le sac enchanté du prince que ce dernier referma fortement avec la corde magique.

Le vingt-quatrième jour, alors que le prince était de nouveau en train de traverser la grande plaine désertique, Ngodrup Dorjé commença à lui parler d’une voix toute doucereuse : « Dans cette région hostile, il n’y a personne et tu sais bien que tu ne trouveras nulle part où te reposer, pas même une place de la taille d’une crotte de hamster. Pour nous rendre ce long chemin plus agréable, je te propose deux solutions. Soit toi, être vivant, tu me racontes une histoire, soit moi, être mort, je t’en raconte une. » Le prince, bien éprouvé mais plus que jamais sur ses gardes, ne répondit mot et le cadavre reprit l’histoire du mendiant, là où il l’avait laissée.

                                                                           Le mendiant retrouve ses amis (XIX)

Débarrassé de son épouse infidèle, le jeune homme poursuivit son chemin à travers les hauts plateaux du Tibet. Un jour, il ressentit l’envie irrépressible de revoir ses trois amis, qu’il avait laissés dans différents villages après leurs mariages respectifs.

Ainsi, il arriva tout d’abord dans la région où il avait quitté le fils de roi. Il vit au loin un troupeau de moutons avec son berger et décida de parler à ce dernier pour avoir quelques informations sur son ami. Au fil de la discussion, il découvrit avec surprise que ce berger n’était autre que le fils de roi. Son visage était bruni par le soleil et son beau corps fort et résistant d’autrefois était devenu faible et malingre à cause de la mauvaise nourriture qu’on lui donnait. Il avait tellement changé que le jeune mendiant ne l’avait même pas reconnu! Il apprit qu’au début du mariage, le fils de roi ne manquait de rien et menait une vie heureuse dans sa belle-famille. Mais avec le temps, elle lui manqua de plus en plus de respect, lui donna une nourriture infâme, échangea ses habits royaux contre des habits de berger et finit par le chasser de la maison pour qu’il garde les moutons dans la nature.

Ce fut une grande joie et un bonheur inouï pour le berger de retrouver son ami mendiant après avoir enduré tant de souffrances. Le mendiant lui promit de l’aider par la ruse et il lui demanda de ne surtout rien dévoiler à personne et de ne s’étonner de rien. Pour nourrir son pauvre ami affamé, le jeune mendiant sortit son sac magique et en retira un festin de dix-huit plats, tous plus succulents les uns que les autres. Ils mangèrent à leur faim et s’endormirent ensemble, entourés des moutons. Cette nuit-là, le pauvre berger eut l’impression que le ciel était plus éclairé que d’habitude par toutes ces étoiles et que mille bouddhas lui souriaient depuis là-haut.

Le lendemain matin, très tôt, ils se quittèrent comme si de rien n’était. Arrivé au village, le mendiant mit son chapeau et, invisible aux yeux de tous, il entra dans la maison des beaux-parents de son ami. Comme il l’avait fait avec sa propre épouse, il toucha la femme de son ami avec la fleur rouge, ce qui la transforma immédiatement en singe. Elle était terrifiée, sautait dans tous les sens, cassait tout ce qu’elle touchait dans la maison et blessait toutes les personnes qui croisaient son chemin. La famille, choquée, ne savait que faire et ne trouva pas d’autre solution que de l’enfermer dans une cage, pour sa propre sécurité et la sécurité de tous.

Le mendiant, toujours invisible grâce au chapeau magique, quitta la maison et appela à l’aide son amie, la mère oiseau, en brûlant une nouvelle plume. Déguisé en grand maître spirituel, le jeune homme se mit sur le dos de l’oiseau et survola le village. Tout le monde pensa que Bouddha lui-même descendait du ciel, brûla des bâtons d’encens, pria avec ferveur et se prosterna au sol. L’oiseau se posa sur le toit des beaux-parents du berger et le faux maître descendit dans la maison où il fut accueilli avec beaucoup de déférence. La famille ne le reconnut pas du tout. Honorés par cette haute visite et pleins d’espoir de recevoir une aide précieuse, les hôtes montrèrent au grand maître spirituel le singe enfermé dans sa cage et lui racontèrent ce qui s’était passé. Le faux maître joua son rôle avec talent et dit après un long silence : « Humm! Je vois que votre fille a un mari extrêmement précieux, auquel toute votre famille a causé un grand tort ! C’est pourquoi les esprits de la région ont puni votre fille et l’ont transformée en singe. Si vous ne demandez pas pardon à votre beau-fils et ne lui rendez pas sa place légitime et respectée dans la famille, vous risquez tous, tôt ou tard, de devenir des singes. Cela fit un grand effet, la famille fut très effrayée et appela le berger. On lui remit ses Le mendiant retrouve ses amis anciens habits royaux, on lui demanda pardon et il lui fut promis qu’il serait honoré comme au début du mariage.

Alors, le faux lama tint parole et retransforma secrètement, avec la fleur jaune, le singe en une femme qui, toute heureuse d’avoir retrouvé son apparence première, promit d’aimer et d’honorer son mari. Très heureux d’avoir pu aider son ami, le mendiant prit congé et reprit sa route. Malgré un au revoir difficile, ils étaient contents de leur forte amitié restée intacte.

En chemin, le jeune homme se demanda ce qu’il était advenu de son ami, fils de famille riche. Ainsi, il décida d’aller lui rendre visite. Mais en arrivant dans la région où vivait cet ami, il trouva une situation analogue. Lui aussi était maltraité par sa belle-famille. Très peu après le mariage, il avait enduré beaucoup de souffrances. Le jeune homme lui promit de lui venir en aide et de le rétablir dans sa situation initiale. Il procéda de la même manière qu’avec son épouse et l’épouse du fils de roi. Rendu invisible grâce au chapeau, il entra dans la maison et transforma la mauvaise femme en singe, en la touchant avec la fleur rouge.

De nouveau, le mendiant apparut ensuite comme maître spirituel, au milieu d’une famille sous le choc. Et, comme précédemment, il promit de sauver la jeune femme si elle-même et sa famille honoraient et traitaient correctement son époux. Ainsi, après que le jeune homme eut retrouvé une place digne et respectée, le faux maître spirituel utilisa sa fleur jaune pour retransformer le singe en une femme qui, toute heureuse, honora et respecta désormais son mari comme il se devait. Malgré un au revoir difficile, les deux hommes se séparèrent, très heureux de leur profonde amitié.

Le mendiant, une fois ôté son déguisement, repartit pour retrouver son troisième ami, l’orphelin. Mais lui aussi avait subi le même traitement que les autres. Après une courte période de bonheur dans sa belle-famille, il dut s’occuper des ânes, reçut peu à manger, peu à boire et dut se vêtir de méchants haillons. Quand les amis se retrouvèrent, le mendiant promit de l’aider en utilisant la ruse. Il se passa exactement les mêmes choses que les fois précédentes, et l’orphelin eut tôt fait de retrouver toute sa place dans sa belle-famille, et une épouse toute prête à l’honorer et à le respecter comme il se devait.

Très heureux d’avoir réussi à aider ses trois amis et d’avoir rétabli leur honneur et la paix dans leurs familles respectives grâce à ses ruses et à ses objets magiques, le mendiant poursuivit seul son chemin, comme avant, à travers les hauts plateaux du Tibet.

Sous le charme de la personnalité du mendiant, le prince oublia une nouvelle fois toute prudence et lança : « Mais ce mendiant est un vrai bodhisattva ! » Il se mordit les lèvres mais trop tard ! Immédiatement, le sac sur son dos s’ouvrit et laissa échapper son prisonnier, Ngodrup Dorjé. Avec un grand plaisir, ce dernier fit : « Voilà une gifle pour ta réponse à mes paroles ! » et il disparut en un coup de vent.

Le prince était vraiment très déçu de lui mais il savait que ni la colère, ni les larmes ne pouvaient changer quoi que ce soit. Sans attendre, il reprit une fois de plus la route vers l’Inde au lieu-dit Silwaytsel pour capturer « celui qui réalise tous les rêves ».

Le mendiant futé (XI), La nouvelle chasse au cadavre (XII), Le mendiant et ses amis (XIII), La nouvelle chasse au cadavre (XIV), Le mendiant se marie (XV), La nouvelle chasse au cadavre (XVI), Rétablissement de la justice (XVII), La nouvelle chasse au cadavre (XVIII), Le mendiant retrouve ses amis (XIX) dans Les contes tibétains du karma, le prince et les histoires du cadavre, recueillis par Tenzin Wangmo, Gollion, Ed. Infolio, 2012, p. 63-94.

Site de la librairie de Chatellerault, consulté le 22 août 2025 :

https://www.lalibrairiechatellerault.fr/bonus/chapitre/9782884748940

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Vous trouverez l’intégralité du recueil Les contes tibétains du karma, le prince et les histoires du cadavre sur le site de la librairie de Chatellerault (Les frères Darpo ; Le tigre Nana ; Le palefrenier qui ne mentait jamais ; Le roi des perles).