Dans un coin de violettes (1910)
Renée Vivien
Renée Vivien, "Absence", "À l’ennemie aimée", "Oiseaux dans la nuit", "Amour", "La promesse des fées", "Les Sept Lys de Marie" et "Mon paradis" dans Dans un coin de violettes (1910), Paris, Bibliothèque internationale d'édition, E. Sansot et Cie, 1910.
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https://fr.wikisource.org/wiki/Dans_un_coin_de_violettes
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Absence
Ô Femme au cœur de qui mon triste cœur a cru,
Je te convoite, ainsi qu’un trésor disparu.
Je te maudis, mais en t’aimant… Mon cœur bizarre
Te recherche, Émeraude admirablement rare !
Que je suis exilée ! Et que pèse le temps,
Malgré le beau soleil des midis éclatants !
Retombant chaque soir dans un amer silence,
Je pleure sur le plus grand des maux : sur l’absence !…
À l’ennemie aimée
Tes mains ont saccagé mes trésors les plus rares,
Et mon cœur est captif entre tes mains barbares.
Tu secouas au vent du nord tes longs cheveux
Et j’ai dit aussitôt : Je veux ce que tu veux.
Mais je te hais pourtant d’être ainsi ton domaine,
Ta serve… Mais je sens que ma révolte est vaine.
Je te hais cependant d’avoir subi tes lois,
D’avoir senti mon cœur près de ton cœur sournois…
Et parfois je regrette, en cette splendeur rare
Qu’est pour moi ton amour, la liberté barbare…
Oiseaux dans la nuit
Cette nuit, des oiseaux ont chanté dans mon cœur…
C’était la bonne fin de l’ancienne rancœur…
J’écoutais ces oiseaux qui chantaient dans mon cœur.
Dans ma grande douleur, la nuit me fut clémente
Et tendre autant que peut se montrer une amante.
Ce fut la rare nuit qui se montra clémente.
Dans ton ombre, j’ouïs le chant de ses oiseaux.
Et je dormis enfin… Mes songes furent beaux
Pour avoir entendu le chant de ces oiseaux…
Amour
Mirage de la mer sous la lune, ô l’Amour !
Toi qui déçois, toi qui parais pour disparaître
Et pour mentir et pour mourir et pour renaître,
Toi qui crains le regard juste et sage du jour !
Toi qu’on nourrit de songe et de mélancolie,
Inexplicable autant que le souffle du vent
Et toujours inégal, injuste trop souvent,
Je te crains à l’égal de ta sœur la folie !
Je te crains, je te hais et pourtant tu m’attires
Puisque aussi le fatal est proche du divin.
Voici qu’il m’est donné de te connaître enfin,
Et je mourrais pour l’un de tes moindres sourires !
La promesse des fées
Le vent du soir portait des chansons par bouffées,
Et, par lui, je reçus la promesse des Fées…
Avec des mots très doux, les elfes m’ont promis
D’être immanquablement mes fidèles amis.
Mais n’attachez jamais votre âme à leurs paroles,
Un Elfe est tôt enfui, souffle vif d’ailes folles !…
Leur vol tourbillonnait, vague comme un parfum.
Cependant tous semblaient obéir à quelqu’un.
La première portait sur son front découvert
Une couronne d’or… Son manteau semblait vert.
Et la couronne d’or, brûlant comme la flamme,
Rayonnait au-dessus d’un visage de femme.
Malgré l’étonnement d’un cœur audacieux,
Je ne pus endurer la splendeur de ses yeux…
Car j’entendais un bruit d’étreintes étouffées…
Aussi j’ai voulu fuir l’amour fatal des Fées…
Mais, devant ce bonheur mêlé d’un si grand mal,
Ne regrettais-je pas un peu l’amour fatal !
Les Sept Lys de Marie
Le Sept Lys ont fleuri devant l’antique porche.
Chacun d’eux est plus long et plus droit qu’une torche,
Leurs pistils sont pareils à des flammes de torche.
Les Sept Lys ont fleuri miraculeusement
Dans le silence auguste et dans l’ombre, au moment
Où s’élève le Christ, miraculeusement…
Sous l’imposition des mains saintes du prêtre
Dans l’ombre et dans l’encens on les vit apparaître…
Le peuple vit alors sourire le vieux prêtre…
Et tous les contemplaient avec des yeux d’amour.
Le prêtre dit, portant ses regards à l’entour :
« Mes frères, contemplons les fleurs du Saint-Amour ! »
Leur parfum s’exhalait vers la Divine Image.
Tous ont compris le sens du glorieux Message
Sur l’autel où Marie écoute le Message
Et les Lys répandaient une paix autour d’eux
Et l’Hostie avait moins de rayonnement qu’eux,
La transparente Hostie était moins blanche qu’eux…
Apparaissez encore, ô Sept Lys de Marie,
Au moment où la foule à genoux pleure et prie !
Apparaissez encore en l’honneur de Marie !
Mon paradis
Mon Paradis est un doux pré de violettes
Où le chant régnera sur des âmes muettes.
Mon Ciel est un beau chant parmi les violettes.
Mon Ciel est la très calme éternité du soir
Où le regard se fait plus profond pour mieux voir
Et c’est l’Éternité dans le ciel d’un beau soir…
Mon Paradis est une éternelle musique.
Qui s’exhale divine allégresse rythmique…
Mon Paradis est le règne de la musique.
Car ce sera, là-haut, le triomphe du chant,
Le règne de la paix dans le Ciel du couchant,
Où rien ne survit plus que l’amour et le chant.
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