Cendres et Poussières (1902)

Renée Vivien

Renée Vivien, "À une Femme", "Désir" et "Fleurs de Séléné" dans Cendres et Poussières (1902), Paris, Ed. Alphonse Lemerre, 1902.

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À une Femme

Tendre à qui te lapide et mortelle à qui t’aime,
Faisant de l’attitude un frisson de poème,
O Femme dont la grâce enfantine et suprême
Triomphe dans la fange et les pleurs et le sang,

Tu n’aimes que la main qui meurtrit ta faiblesse,
La parole qui trompe et le baiser qui blesse,
L’antique préjugé qui meurt avec noblesse
Et le désir d’un jour qui sourit en passant.

Férocité passive, âme légère et douce,
Pour t’attirer, il faut que le geste repousse :
Ta chair inerte appelle, en râlant, la secousse
Et l’effort sans beauté du mâle triomphant.

Esclave du hasard, des choses et de l’heure,
Être ondoyant, en qui rien de vrai ne demeure,
Tu n’accueilles jamais la passion qui pleure
Ni l’amour qui languit sous ton regard d’enfant.

Le baume du banal et le fard du factice,
L’absurdité des lois, la vanité du vice
Et l’amant dont l’orgueil contente ton caprice,
Suffisent à ton cœur sans rêve et sans espoir.

Jamais tu ne t’éprends de la grâce d’un songe,
D’un reflet dont le charme expirant se prolonge,
D’un écho dans lequel le souvenir se plonge,
Jamais tu ne pâlis à l’approche du soir.

Désir

Elle est lasse, après tant d’épuisantes luxures.
Le parfum émané de ses membres meurtris
Est plein du souvenir des lentes meurtrissures.
La débauche a creusé ses yeux bleus assombris.

Et la fièvre des nuits avidement rêvées
Rend plus pâles encor ses pâles cheveux blonds.
Ses attitudes ont des langueurs énervées.
Mais voici que l’Amante aux cruels ongles longs

Soudain la ressaisit, et l’étreint, et l’embrasse
D’une ardeur si sauvage et si douce à la fois,
Que le beau corps brisé s’offre, en demandant grâce,
Dans un râle d’amour, de désirs et d’effrois.

Et le sanglot qui monte avec monotonie,
S’exaspérant enfin de trop de volupté,
Hurle comme l’on hurle aux moments d’agonie,
Sans espoir d’attendrir l’immense surdité.

Puis, l’atroce silence, et l’horreur qu’il apporte,
Le brusque étouffement de la plaintive voix,
Et sur le cou, pareil à quelque tige morte,
Blêmit la marque verte et sinistre des doigts.

Fleurs de Séléné

Elles ont des cheveux pâles comme la lune,
Et leurs yeux sans amour s’ouvrent pâles et bleus,
Leurs yeux que la couleur de l’aurore importune.
Elles ont des regards pâles comme la lune,
Qui semblent refléter les astres nébuleux.
Leurs paupières d’argent, qu’un baiser importune,
Recèlent des rayons langoureusement bleus.

Elles viennent charmer leur âme solitaire,
Dans le recueillement des sombres chastetés,
De l’haleine des cieux, des souffles de la terre.
Nul parfum n’a troublé leur âme solitaire.
L’ivoire des hivers, la pourpre des étés
Ne les effleurent point des reflets de la terre :
Elles gardent l’amour des sombres chastetés.

Leur robe a la lourdeur du linceul qu’on déploie,
Blanche sous le regard nocturne des hiboux,
Et leur sourire éteint la caresse et la joie.
Leur robe a la lourdeur du linceul qu’on déploie.
Elles penchent leur front et leurs gestes très doux
Sur les agonisants du songe et de la joie
Qui râlent sous les yeux nocturnes des hiboux.

Elles aiment la mort et la blancheur des larmes…
Ces vierges d’azur sont les fleurs de Séléné.
Possédant le secret des philtres et des charmes,
Elles aiment la mort et la lenteur des larmes,
Et la fleur vénéneuse au calice fané.
Elles viennent cueillir les philtres et les charmes,
Et leurs yeux pâles sont les fleurs de Séléné.