Les conteurs du petit café maure

Meknès, la cité impériale, la ville de Moulay Ismaël, n’est pas seulement remarquable par les nobles vestiges de son palais fameux, c’est encore un des sites les plus charmants de l’Empire fortuné. Les poètes ont chanté à l’envi la douceur de son climat, la qualité de ses fruits, la beauté de ses arbres, le parfum de ses fleurs. Écoutez ce qu’en dit Ibn-el-Katib :

« La beauté appartient à Meknassa les Oliviers : par l’excellence de l’atmosphère de cette ville, par la pureté des eaux qui l’arrosent et par l’inaltérabilité de ses celliers… Les joues de la rose s’empourprent dans ses vallées et, semblables à des dents, les fleurs de l’oranger apparaissent languissantes au milieu de ses frondaisons. Salut, ô ville dont le territoire fertile est le domaine de la paix. »

C’est de Meknès également que l’illustre savant Djédir-el-Ghassani a écrit :

« …Garde-toi de nier la beauté de Meknassa, car elle n’a jamais cessé d’être connue. Si la main du temps venait à effacer les traces de cette ville, la beauté laisserait là sûrement quelque vestige. »

Il semble que ce charme et cette douceur aient agi sur le caractère des gens de Meknès qui se contentent de vivre et de goûter paresseusement les séductions de la nature.

Allez faire un tour, le soir, avant que ne se couche le soleil, à la place El-Hédime, devant le Bab-el-Mansour, cette place où se réunissent les bateleurs, les vendeurs de toutes choses, les mendiants et les charmeurs de serpents, avec leur clientèle de badauds. Sur cette place, il y a un petit café et, dans ce café, un coin garni de nattes que le kawadji – le patron du lieu – réserve à des clients fidèles. Là, autour de tasses de café odorant ou de thé à la menthe, se tiennent régulièrement Araya, le Chleuh, Dramanah, ancien soldat qui appartint aux mehallas heureuses du Maghzen, Harranah, l’homme du Sud, Djali, le Fassi et Mehmed, de la Chaouïa. Ce sont des conteurs renommés ; ils narrent, sans se lasser eux-mêmes, ni fatiguer leurs auditeurs, de bonnes histoires qui attirent l’attention des autres consommateurs, tous connaisseurs en la matière.

— Le sultan Abib – qu’il soit béni ! – commence Araya, le Chleuh, avait une fille qui ne voulait pas se marier. Elle préférait rester dans la maison de son père où elle se plaisait à forger des contes et des fables qu’elle débitait à longueur de journée à ses servantes assises autour d’elle et qui trouvaient plus agréable d’entendre parler leur maîtresse que de laver le linge, de préparer le couscous ou d’éplucher les oignons qui font pleurer les yeux. Il s’était présenté plus de cent jeunes gens des meilleures familles qui désiraient obtenir la main de la princesse et toujours elle disait non.

» — Il est impossible, gémissait le malheureux père, qui cependant ne voulait pas obliger sa fille à prendre un époux malgré elle, que tu restes éternellement dans ma maison. Je n’ai pas de frère, tu es fille unique ; que deviendras-tu après moi ? Ton entêtement me cause bien de l’inquiétude.

» — Ô père, je ne refuse pas de me marier, mais je ne veux pour mari qu’un homme dont l’esprit soit subtil.

» — Et comment, interrogea le sultan qui commençait à voir poindre une lueur d’espoir, comment reconnaîtras-tu la subtilité d’esprit de ton prétendant ?

» — À ceci : Ouvre un concours, je dirai un mensonge énorme et celui qui en trouvera un équivalent aura ma main.

» C’était là, on en conviendra, un sage raisonnement, car il faut, vous en témoignerez tous, mes amis, plus de subtilité pour débiter un mensonge, même ordinaire, que pour dire une vérité, fût-elle merveilleuse.

» Bien que cette manière de décider du choix d’un époux ne parût pas au sultan conforme aux usages et à la bienséance, il ne voulut pas contrarier sa fille, trop heureux de la voir enfin venir à la raison. Il fit annoncer dans toutes les villes, dans toutes les bourgades, dans les douars des pasteurs de la Chaouïa, du Souss, des pays Chleuh et jusque dans le Soudan, qu’il donnerait sa fille à celui qui dirait un mensonge plus énorme que celui même qu’elle composerait. »

— Quel était donc ce mensonge ? demanda Dramanah, l’ancien soldat.

— Celui-ci : « J’ai fait construire une marmite si grande qu’il a fallu trois cent soixante clous pour en assembler les éléments. Chaque clou a été rivé par un forgeron et chaque forgeron n’entendait pas le martèlement de l’autre forgeron tant était grande la distance qui séparait les ouvriers occupés à fabriquer ma gigantesque marmite. »

» De tous les coins de l’Empire fortuné arrivèrent des prétendants. Des fils de caïds, des chorfa, d’opulents négociants. Ils étaient admis au palais et comparaissaient devant le sultan aux côtés de qui se tenait, voilée, la princesse, sa fille.

» Chacun débitait un mensonge, mais, auprès du mensonge de la princesse, ce n’était qu’un tout petit mensonge, digne, au plus, d’un enfant qui fait ses dents.

» Des semaines et des semaines passèrent. Les uns après les autres, les prétendants se retiraient confus, non sans que le sultan leur eût offert un somptueux festin et des présents inestimables pour les consoler. La princesse triomphait. Son orgueil était flatté d’avoir dépassé ces jeunes hommes dans leurs mensonges, et, de plus, elle était heureuse de pouvoir continuer à mener l’existence qui lui plaisait, tout en paraissant obéir aux vœux de son père. Par contre, le sultan se désolait, lui qui savait bien que chaque concurrent évincé était un ennemi pour lui et pour l’Empire fortuné.

» Enfin, un jour entre les jours, arriva un jeune Chleuh ; il n’avait rien de commun avec les fils de caïds, les chorfa ou les riches négociants ; c’était un pauvre diable qui avait fait le voyage monté sur une malheureuse bourrique, c’était un meskine pour tout dire. Il n’y avait cependant pas moyen de l’évincer, car les conditions du concours étaient formelles et chacun avait le droit de s’y présenter.

» Après s’être incliné respectueusement devant le sultan et devant la princesse, le Chleuh commença ainsi :

» — J’ai fait pousser un chou, il a trois cent soixante feuilles et chaque feuille peut abriter trois cent soixante cavaliers ; aucun cavalier ne peut voir son voisin tant il est éloigné de lui.

» — Et dans quoi espères-tu faire cuire ton chou ? interrogea la princesse.

» — Dans ton chaudron, répliqua le Chleuh.

» — Vraiment, s’écria la fille du sultan, tu as fait un plus beau mensonge que le mien, voici ma main.

» Le meskine épousa la princesse, ils furent heureux et ils eurent beaucoup d’enfants. »

Dramanah, l’ancien soldat, prit alors la parole :

— Moi, je connais l’histoire de Selham, le charmeur de serpents, et du sultan Yadi – que Dieu le conduise par la main !

» Le sultan Yadi – qu’il soit béni ! – s’ennuyait dans son palais ; il avait fait venir Mohammed, le jongleur, mais bientôt les jongleries le lassèrent et il lui fit couper la tête. Il fit venir Driss, le conteur, mais bientôt il connut toutes ses histoires par cœur et il lui fit couper la tête. Il fit venir Yousouf, le joueur de raïta, mais bientôt sa musique lui écorcha les oreilles et il lui fit couper la tête. D’autres et d’autres se présentèrent pour distraire Yadi, le bienfaisant, mais tous, au bout de peu de jours, paraissaient insupportables au sultan qui les envoyait au supplice. Désormais les conteurs, les musiciens, les jongleurs, les danseurs, tous et tous désertèrent la ville où vivait ce puissant monarque et lorsque, de loin, ils apercevaient les terrasses de son palais, ils se détournaient et fuyaient à toutes jambes.

» Un matin, pourtant, Selham, le charmeur de serpents, fut assez hardi pour demander à être admis auprès du maître afin de l’amuser. D’abord Yadi, le miséricordieux, éprouva quelque plaisir à voir la manière dont les reptiles sortaient du sac de Selham au son de sa flûte, grimpaient le long de ses jambes, s’entortillaient autour de son cou et de ses bras. Ce plaisir néanmoins ne dura qu’un temps. Un soir, comme Selham se retirait, le sultan lui dit :

» — Mon ami, je suis las de tes tours et je vais ordonner à mon caïd méchouar de te faire trancher la tête.

» — Seigneur, répliqua Selham, c’est là une idée d’entre les idées ; laisse-moi cependant une chance de vie, tu en éprouveras toi-même de la satisfaction.

» — Je veux bien, répliqua le sultan, à une condition, c’est que tu viennes demain au palais en cavalier et en piéton à la fois.

» — Selham s’inclina. Le lendemain, le sultan qui s’était placé sur la terrasse pour guetter la venue du charmeur, fut tout stupéfait. Selham était monté sur un tout petit âne, cet âne était si petit que les pieds de l’homme touchaient terre, de sorte que Selham était tout à la fois cavalier et piéton.

» — Tu as résolu, dit le monarque, le problème que je te posais, mais ce n’est pas fini. Si tu veux éviter le bourreau, il faut que tu répondes à trois questions, et voici la première : Combien y a-t-il d’étoiles au ciel ?

» — Seigneur, répliqua le charmeur, il y a autant d’étoiles au ciel que de poils sur mon âne sans ceux de sa queue ; compte-les.

» — C’est bien, répliqua le sultan, et maintenant : Dans quel endroit sommes-nous de la terre ?

» — Au milieu… mesure.

» Cette fois, le maître daigna sourire.

» — Voici la troisième question : Combien y a-t-il de poils dans ma barbe ?

» — Autant que dans la queue de mon âne, coupe ta barbe, je couperai la queue de mon âne et on fera le calcul.

» Le sultan s’avoua vaincu, il accorda la vie sauve à Selham et lui fit cadeau d’une bourse pleine d’or, ce dont le charmeur se réjouit jusqu’aux limites de la joie. »

Tout le groupe s’esclaffa. Seul, Harranah, l’homme du Sud, garda la réserve de celui qui a une meilleure histoire qu’il veut placer. Il ne se fit pas prier pour la commencer.

— Moi, dit-il, j’ai connu Yakali de Meknès. C’était un fabricant de tapis merveilleux ; les tapis qui sortaient d’entre ses mains se vendaient au poids de l’or. Il n’avait qu’un défaut, il était vaniteux. Il aimait répéter :

» — Nul dans l’Empire fortuné ne fait des tapis aussi beaux que les miens ; nul ne sait aussi bien que moi répartir les couleurs et les faire chanter pour l’agrément de l’œil. En toutes choses je suis le plus malin des malins.

» Or, il se trouva qu’un jour un certain marchand passant par Meknès l’entendit parler ainsi ; il s’approcha de l’échoppe de Yakali et lui dit en prenant en main un de ses beaux tapis :

» — Ya Yakali, tu es un artisan d’entre les artisans et cependant je sais un homme qui fait des tapis aussi beaux sinon plus beaux que les tiens. En toutes choses il est plus malin que toi.

» Yakali eut un haut-le-corps ; on ne pouvait rien lui dire qui le vexât aussi profondément.

» — Quel est donc cet homme et où est sa demeure ? demanda-t-il.

» — Comme toi, il se nomme Yakali et il habite Fez.

» Ce renseignement, Yakali de Meknès l’enferma dans sa poitrine ; petit à petit, il se prit à haïr son concurrent inconnu et son cœur lui conseilla d’aller le voir et de lui jouer quelque méchant tour pour prouver qu’il était plus malin que lui.

» Ainsi, il partit un jour pour Fez, la magnifique. Arrivé dans la ville aux belles fontaines, il ne perdit pas son temps à la parcourir, il alla tout droit vers le souk des marchands de tapis. Il aperçut dans une échoppe un homme accroupi qui fabriquait un tapis ; il s’approcha de lui.

» — Sur toi le salut !

» — Le salut sur toi !

» — Je suis Yakali de Meknès. Dans ma ville on sait que je suis très malin et je voudrais rencontrer Yakali de Fez qui fabrique aussi des tapis. On dit qu’il est également très malin, mais je voudrais bien lui jouer un tour pour lui prouver que je suis plus malin que lui.

» L’homme qui fabriquait le tapis répliqua :

» — C’est facile, je vais le chercher et le ramène à l’instant. En m’attendant, tu prépareras le piège dans lequel tu le feras tomber. Seulement, ô Yakali de Meknès, comme je suis pressé et que je n’ai pas de temps à perdre, puisque tu fais aussi des tapis, continue celui que j’ai commencé, car il m’est commandé et doit m’être payé un bon prix.

» — Il sera fait selon ton désir.

» Yakali de Meknès s’accroupit à la place laissée vide par son confrère et il se mit au travail en ruminant dans sa tête le beau tour qu’il allait jouer à ce Yakali de Fez que l’on disait si malin. Il riait en lui-même à l’idée de la confusion de l’autre. Trois heures passèrent, puis quatre heures. Le tapis était fini. Yakali, impatient, se leva. Avisant un passant, il demanda :

» — Pourrais-tu me dire où est passé le propriétaire de cette échoppe ? Il m’a affirmé qu’il allait revenir à l’instant et voilà que quatre heures se sont écoulées et il n’est pas là.

» Le passant répliqua :

» — Viens avec moi et je te le montrerai.

» Yakali de Meknès suivit l’inconnu qui lui désigna, au coin d’une place, dans un petit café, le propriétaire de l’échoppe occupé à jouer aux dames avec des amis. Mécontent, Yakali de Meknès s’écria :

» — Voilà pourtant comme il cherche, ainsi qu’il me l’a promis, Yakali de Fez à qui je veux jouer un bon tour pour lui prouver que je suis plus malin que lui.

» Alors l’inconnu se mit à rire.

» — Il n’a pas à le chercher, c’est lui-même. Seulement je crois que c’est lui qui a joué le bon tour et que, des deux malins, c’est lui le plus malin. Il a fait travailler durant quatre heures Yakali de Meknès et il lui a fait finir son tapis tandis que lui s’offrait du bon temps. » Djali, le Fassi, prit la parole :

— C’est l’histoire de l’entêtement de Nouya et de son mari Aden que je veux vous conter.

» Aden était le plus entêté d’entre les hommes et Nouya la plus obstinée d’entre les femmes – que je sois puni si je mens ! Un jour qu’ils étaient tous les deux à table, assis devant un succulent méchoui, ils s’aperçurent que la porte de la maison était ouverte.

» — Va donc la fermer, dit Aden.

» — Ferme-la toi-même, répliqua Nouya.

» — Je suis le mari et tu dois me servir, insista Aden, et, en cela, on reconnaîtra qu’il avait raison.

» — C’est moi qui, depuis ce matin, vaque aux soins de la maison, c’est moi qui ai lavé ta djellaba, c’est moi qui ai donné sa pitance à l’âne et c’est moi qui ai cuisiné ce méchoui dont tu te lèches les doigts.

» Nouya n’avait pas tout à fait tort, mais là où on ne saurait l’approuver, c’est quand elle se mit à invectiver, à criailler, en un mot, à faire une scène à son mari. Bien qu’il soit écrit dans le Livre : « L’homme est prompt de sa nature », ce fut Aden qui se montra le plus patient. Après avoir laissé tempêter son épouse jusqu’au moment où elle se tut, faute de voix, il déclara sur un ton auquel il n’y avait pas de réplique :

» — C’est bon, le premier qui ouvrira la bouche pour parler, celui-là ira fermer la porte.

» Cette décision était toute sagesse, car chacun sait que la femme, plus que l’homme, a de la peine à tenir sa langue quand il s’agit de tenir des propos oiseux.

» Néanmoins, comme Nouya était encore plus obstinée que bavarde, elle garda le silence et les époux se remirent au plat de méchoui sans échanger une parole, tandis que la porte demeurait ouverte.

» Or, il advint qu’un chien, passant par hasard dans la rue, aperçut cette porte qui n’était pas fermée et qu’il entra dans la maison. Nul ne se levant pour le chasser, le chien pensa que l’on ne s’apercevait pas de sa présence et il fit au milieu de la pièce ce qu’il serait malséant de raconter ; puis il leva le nez et il flaira. L’odeur du méchoui lui flatta singulièrement l’odorat, il s’approcha de la table, et, prenant le silence de ses hôtes pour un consentement, il sauta dessus (1).

» En sautant, le chien renversa le bol d’eau qui se trouvait près d’Aden. Celui-ci ne dit rien.

» Le chien, ayant un instant flairé le plat, se mit à y manger. Les époux demeuraient silencieux. Quand l’animal eut fini, ne laissant au fond du plat que l’os de la jambe du mouton, Nouya prit cet os et l’attacha à la barbe de son mari ; aussitôt, le chien se précipita et tira sur l’os et, en même temps, sur la barbe d’Aden.

» — J’aime mieux aller fermer la porte, dit Aden. »

Ce fut alors Mehmed, de la Chaouïa, qui parla :

— Un Chrétien, un Croyant et un Juif, qui étaient en voyage, n’avaient, pour se rassasier tous les trois, qu’un plat de couscous ; il y en avait si peu qu’à peine un seul homme pouvait y trouver sa nourriture.

» Un bon couscous est fort appétissant avec tous les ingrédients nécessaires pour le rendre agréable au palais : beurre en abondance, poivre rouge, piments doux et ces herbes qui accroissent la saveur. Raison de plus pour que chacun voulût en manger jusqu’à la limite de ses forces et non se contenter d’une simple bouchée qui augmente l’envie sans rassasier.

» — Il faudrait, dit le Chrétien, jouer aux dés et le gagnant mangera le couscous.

» — Non, dit le Croyant, il est écrit : « Les jeux de hasard sont une abomination inventée par Satan. » Je ne puis donc partager ton avis. Pourquoi ne lutterions-nous pas entre nous et le vainqueur mangerait le couscous ?

» — Non, protesta le Juif, la force brutale n’est pas un argument, je propose ceci : Nous dormirons tous les trois et, au réveil, celui qui aura fait le plus beau rêve mangera le couscous.

» Il n’y avait rien à dire contre cette sage proposition. Le Chrétien, le Croyant et le Juif s’endormirent enveloppés dans leurs manteaux. Lorsqu’ils se réveillèrent, chacun d’eux raconta son rêve.

» Le Chrétien dit :

» — Moi, j’ai rêvé que je rencontrais saint Pierre. Il me disait : « Tu as toujours été un bon chrétien, fidèle à la loi de Dieu, je vais te faire visiter son paradis. » Alors saint Pierre, me prenant par la main, m’a promené au pays des Bienheureux ; tout était lumière et beauté ; des anges à la face radieuse chantaient sur la harpe les louanges du Très-Haut ; cette musique m’a réveillé.

» Le Croyant dit :

» — Moi, la jument Bourak m’a emporté au ciel, j’y ai trouvé le Prophète – sur lui le salut ! Il m’a adressé la parole en ces termes : « Mon fils, tu as toujours suivi les préceptes du Livre, je veux te faire connaître le Jardin destiné aux Croyants. » Me prenant par la main, il m’a emmené à travers ce jardin. Partout il y avait des fleurs, des bassins d’eau vive, des fontaines fraîches et les plus belles houris me faisaient des signes d’amitié. L’éblouissement m’a réveillé.

» Le Juif paraissait un peu embarrassé.

» — Raconte-nous donc ton rêve, dirent les deux autres.

» — Oh ! répliqua le fils d’Israël, le mien est bien simple, comparé aux vôtres, cependant il n’est pas sans mérite. Moi, j’ai rêvé que je rencontrais un homme ; ce n’était ni saint Pierre, ni le Prophète, ce n’était qu’un homme, mais il était armé d’une trique ; il ne m’a pas proposé de me faire visiter le Paradis ou le Jardin des Bienheureux, il ne m’a pas fait de compliments, mais il m’a menacé de me casser la tête si je ne mangeais pas à l’instant. Alors, je vous ai appelés, seulement, comme l’un de vous était au Paradis et l’autre au Jardin, vous ne m’avez pas entendu… et j’ai mangé le couscous. »

1) Les Arabes mangent sur des tables basses autour desquelles ils se tiennent accroupis sur des coussins.


Les conteurs du petit café maure dans Contes et légendes du Maroc (1937) réunies par Charles Quinel et Adhémar de Montgon, Paris, Ed. Fernand Nathan, 1940.

Site litterature-jeunesse-libre.fr, consulté le 17 octobre 2025 :

https://litterature-jeunesse-libre.fr/bbs/read/1591/epub#epubcfi(/6/82!/4/2[Les32conteurs32du32petit32caf23332maure124outline]/1:0)

Vous trouverez l'intégralité du recueil sur litterature-jeunesse-libre.fr.